lundi 24 novembre 2014

Quand Amilcar Cabral appelait la proto-formoisie compradore au "suicide" sociologique (étudier la Révolution burkinabè du 30/10/14 et la période de révolisation ouverte depuis)


par Yanick Toutain
#RevActu
24/11/14

Après le désarroi des premiers jours, la nomination de Joséphine Ouedraogo ex-ministre de Thomas Sankara qui avait quitté son pays pour "rejoindre sa famille en Tunisie", .... a redonné de la vigueur et de la confiance à la proto-formoisie anti-égalitariste et anti-sankariste du Burkina Faso.
Critiquer Yacouba Isaac Zida est devenu pour ces droitiers un comportement scandaleux digne d'insultes.
Comme le fait de préconiser la REconstruction des CDR est l'objet de quolibets


REVACTU : SAMEDI 1 NOVEMBRE 2014 Lettre ouverte à Valère Somé : Appelez à la reformation de CDR (Comités de Défense de la Révolution) pour que le peuple burkinabé prenne le pouvoir
http://revolisationactu.blogspot.fr/…/lettre-ouverte-valere…















Il faut donc retourner lire les grands théoriciens de la Révolution Africaine, les précurseurs de cette Grande Révolution Africaine commencée le 30 octobre au Burkina Faso.
Ils sont des pistes vers la compréhension postmarxiste des évènements.
On voit les proto-formoisie compradore se rallier à l'innovoisie compradore des Smockey, à la formoisie compradore des Hervé Ouattara pour mettre en place un Zida.
L'avenir nous éclairera sur le rôle d'un mystérieux militaire "Bambara" surgi du néant pour embarquer tout ce petit monde dans les filets du numéro deux du RSP de Compaoré-Diendéré...



HOMMAGE A UN INTELLECTUEL REVOLUTIONNAIRE

 Demba Moussa Dembélé:  AMILCAR CABRAL, 40 ANS APRES



Sur le plan politique, Amilcar Cabral a apporté des contributions impérissables sur la nature du leadership, sur la construction du mouvement révolutionnaire, sur la résolution des contradictions en son sein et sur nombre d’autres questions liées à la lutte de Libération nationale. L’un des héritages politiques majeurs laissés par Cabral est sans doute son appel au « suicide » de l’intellectuel révolutionnaire : « la petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe pour ressusciter comme travailleurs révolutionnaires complètement identifiés avec les aspirations profondes du peuple auquel ils appartiennent ». Voilà la voie à suivre : se « suicider » pour se débarrasser des tendances bourgeoises qui guettent en permanence la petite bourgeoisie et qui l’amènent à trahir la Révolution ou à la confisquer une fois qu’elle est devenue victorieuse. Cet appel au « suicide » de la petite bourgeoisie est un aspect capital de la pensée politique de Cabral. Car, pour lui, le « suicide » est la condition sine qua non de la fusion du leadership avec les masses, de sa capacité à respecter les principaux fondamentaux qui guident le mouvement de Libération
Cabral ne s’était pas contenté de théoriser sur le « suicide » de la petite bourgeoisie. Tout comme Eduardo Mondlane, qu’il admirait tant, il avait été capable de se « suicider » lui-même pour épouser complètement le point de vue et les aspirations des masses populaires. Il avait su se transformer pour s’identifier aux classes laborieuses et aux masses paysannes et se mettre à leur niveau. Cela explique, entre autres, l’immense respect dont il jouissait tant à l’intérieur de son pays qu’à l’extérieur et le succès de la Lutte de Libération qui, en moins d’une dizaine d’années, avait pu libérer les trois quarts du pays, en dépit de la férocité de la répression de l’Etat colonial portugais.
Hélas ! des intellectuels de la trempe de Cabral sont une espèce rare. C’est pourquoi l’appel au « suicide » de l’intellectuel africain a eu peu d’écho, comme le montre l’expérience de plus de 50 ans « d’indépendance ». 
EXTRAIT DE 
HOMMAGE A UN INTELLECTUEL REVOLUTIONNAIRE

AMILCAR CABRAL, 40 ANS APRES


Valère Somé, auteur du DOP, le grand muet depuis 2011 avait posé sur son blog de larges extraits du texte de Cabral.
En voici des morceaux choisis concernant la formoisie, son rôle parfois progressiste et souvent contre-révolutionnaire.
Certains avaient été déjà publié sur B-RevActu.
Les caractères rouges sont de Valère Somé.

 (dupliqué sur le blog de Valère Somé)
[Extrait de Amilcar Cabral.  Unité et lutte. — I. L’arme de la Théorie.
— François Maspero,Paris.  1980, pp.167-169 ]

« La présente édition est constituée par une sélection des textes publiés dans l’édition des revues d’Amilcar Cabral paru dans la collection « cahiers libres » en 1975, en deux volumes sous le titre Unité et lutte, volume I : L’arme de la théorie : volume II : La pratique des armes. »

La situation  coloniale qui n'admet pas le développement d'une pseudo-bourgeoisie autochtone et  dans  laquelle  les masses  populaires n'atteignent pas en  général  le degré  nécessaire de  conscience politique  avant le déchaînement du phénomène  de  libération nationale, offre à la petite  bourgeoisie  l'opportunité historique de diriger la lutte contre la domination  étrangère, pour être, de par sa situation objective et subjective (niveau de vie supérieur à celui des masses, contacts plus fréquents avec les  agents du colonialisme, et donc plus d'occasions d'être humiliés, degré d'instruction et de culture  politique plus  élevé,  etc.) la  couche qui  prend le plus  rapidement conscience du besoin de  se libérer de la domination étrangèreCette responsabilité historique  est assumée par le secteur  de la petite bourgeoisie que l'on peut, dans le  contexte colonial, appeler révolutionnaire, tandis que les autres secteurs  se maintiennent dans le doute caractéristique de ces classes ou s'allient au colonialisme, pour défendre — quoique  illusoirement — leur situation sociale.

 Dans ce cas, il est important de faire  remarquer que la mission  qui lui a été confiée exige de ce  secteur  de la  petite  bourgeoisie  une  plus  grande conscience révolutionnaire, la  capacité  d'interpréter fidèlement les  aspirations  des  masses  à  chaque phase  de  la lutte et de s'identifier de  plus en  plus avec elles.
    Mais, si grand que soit le degré  de  conscience révolutionnaire  du  secteur de  la petite bourgeoisie appelé à  remplir cette  fonction historique, elle ne  peut se libérer de cette réalité objective :  la petite bourgeoisie, comme  classe  des services  (c'est-à-dire  qui n'est pas  directement incluse dans le  processus de  production), ne  dispose pas de  bases économiques lui garantissant la prise du pouvoir. En effet, l'histoire  nous démontre  que, quel que soit le  rôle  —  parfois important — joué  par des individus issus de  la petite bourgeoisie  dans le  processus d'une  révolution, cette classe n'a jamais  été en possession du  pouvoir politique.  Et  elle  ne pouvait l'être, car  le pouvoir  politique (Etat) se fonde  sur la  capacité économique de la classe dirigeante et, dans les conditions de la  société coloniale et  néocoloniale,  cette capacité est  détenue  par ces deux  entités : le capital  impérialiste  et les classes laborieuses nationales.
   Pour maintenir le pouvoir que la libération nationale met entre ses mains, la petite bourgeoisie n'a qu'un seul chemin : laisser agir librement ses tendances naturelles d'embourgeoisement,  permettre le développement  d'une bourgeoisie  bureaucratique — et  d'intermédiaires  — du cycle des marchandises, pour se transformer en une  pseudo-bourgeoisie nationale, c'est-à-dire nier la révolution et se rallier nécessairement au capital impérialiste. Or tout cela correspond à la situation néocoloniale, c'est-à-dire à la trahison des objectifs de libération nationale.
     Pour ne pas trahir ces objectifs, la petite bourgeoisie n'a qu'un seul chemin: renforcer sa conscience [P.169] révolutionnaire, répudier les tentatives d'embourgeoisement et les sollicitations naturelles de sa mentalité de classe, s'identifier aux classes laborieuses, ne pas s'opposer au développement normal du processus de la révolution. Cela signifie que, pour remplir parfaitement le  rôle  qui lui revient  dans la lutte de libération nationale, la petite bourgeoisie révolutionnaire doit être  capable  de se  suicider  comme classepour ressusciter comme travailleur  révolutionnaire, entièrement identifiée avec les aspirations les plus profondes du peuple auquel elle appartie
Cette  alternative — trahir  la Révolution ou se  suicider comme classe — constitue le choix de la petite bourgeoisie dans le cadre général de la lutte de libération nationale.
     Sa solution  positive, en faveur  de  la révolution,  dépend de ce que  récemment Fidel Castro a appelé correctement développement de la conscience révolutionnaire. Cette dépendance attire nécessairement notre attention  sur la capacité du dirigeant de la lutte de libération nationale à rester fidèle aux principes et à la cause fondamentale  de la lutte. Cela nous montre,  dans une certaine mesure, que  si la libération nationale est essentiellement un problème politique, les conditions du  développement lui prêtent certaines caractéristiques qui appartiennent au domaine moral.




LIRE AUSSI

Ethiopiques numéro 5 revue socialiste de culture négro-africaine
janvier 1976

Auteur : Alain Bockel
« Personne n’a encore réalisé une révolution victorieuse sans théorie révolutionnaire »
Amilcar Cabral « L’arme de la théorie »

Les bases marxistes de l’analyse de Cabral

Elles sont indiscutables, même s’il ne s’en explique pas ; la lecture de ses écrits témoigne en effet d’une conception matérialiste, d’ailleurs très cohérente, de l’analyse sociale sous ses différents aspects.
Le matérialisme sociologique d’une part : l’explication fondamentale d’une société donnée doit être cherchée dans le mode de production, c’est par là qu’il faut en entreprendre l’analyse, tout découle des structures économiques et sociales - on en verra de nombreuses illustrations dans les lignes qui suivent. Mais, et l’intéressante analyse des problèmes culturels que l’on exposera plus loin le montre bien, ce n’est pas un matérialisme mécaniste, aussi rigide et figé que celui auquel ont pu se référer maints doctrinaires marxistes, qu’exprime Cabral.
Certes, affirme-t-il, la réalité matérielle est prédominante (« comme l’histoire... la culture a pour base matérielle le niveau des forces productives et le mode de production  ») ; mais il insistera avec force sur l’influence inverse de la culture sur le développement historique (« la culture détermine en même temps l’histoire, par l’influence positive ou négative qu’elle exerce sur l’évolution des rapports entre l’homme et son milieu  »).

Le matérialisme historique

Mais c’est surtout sur le matérialisme historique que le leader guinéen s’expliquera davantage, en tentant de situer la Guinée. Certes son exposé [2] consiste d’abord en un rappel des principales têtes de chapitre de l’enseignement de Marx. Cabral, en effet, accepte comme un postulat établi « sur des bases scientifiques » que l’histoire ait un sens, et qu’elle doive nécessairement, « inéluctablement », conduire à une société sans classe et sans Etat ; que le mouvement historique réside dans l’évolution des forces productrices, provoquant à certaines époques une contradiction avec les rapports de production que seule une mutation révolutionnaire peut résoudre. Mais déjà apparaît la réflexion personnelle lorsqu’il brosse en quelques phrases une esquisse de l’évolution historique générale :« l’histoire d’un groupe humain ou de l’humanité se développe au moins en trois phases :
- « la société communautaire agricole et d’élevage »
, qui correspond à un bas niveau des forces productives, sans appropriation privée des moyens de production, donc sans classes et sans Etat ;
« l’élevation du niveau des forces productives », qui conduit à l’appropriation privée des moyens de production, et par là une seconde phase, caractérisée par l’apparition d’une lutte de classes et d’un Etat ; Cabral y englobe « les sociétés agraires féodales et agro-industrielles bourgeoises » ; enfin,
« un niveau supérieur des forces productives », qui va permettre l’instauration des sociétés socialistes ou communistes où l’Etat disparaît, et « des forces nouvelles et ignorées dans le processus historique de l’ensemble socio-économique se déchaînent alors ».
L’on constate que les cinq stades classiques sont réduits à trois, la société communautaire, la société étatique, la société communiste par élimination de la société esclavagiste et fusion des sociétés féodale et bourgeoise. Il aurait été intéressant d’avoir davantage de précisions sur cette dernière formation économico-sociale, que Cabral a certainement dégagée en rapport avec la situation des sociétés africaines actuelles ; en effet, pour lui, la société guinéenne se caractérise par la coexistence des deux premières phases. Mais il ne s’y arrête pas. En revanche, certains aspects de la conception marxiste de l’histoire l’inquiètent davantage, et l’amènent à s’interroger et à préciser.
C’est d’abord la définition du « moteur de l’histoire », la lutte des classes selon Marx, qui ne le satisfait pas entièrement. Car, reconnaît-il, certains groupes humains ne sont pas divisés en classes, du fait du développement insuffisant des forces productives, c’est le cas par exemple des Balante de Guinée, dont la société est encore largement communautaire. Est-ce à dire, dès lors, que ces peuples n’aient pas d’histoire ? Qu’avant d’être atteints par la colonisation, ils vivaient sans histoire ? Et, d’une façon curieusement naïve, Cabral déclare « refuser de l’admettre » ; et par suite si ces peuples ont vraiment eu une histoire sans connaître la lutte des classes, c’est que le moteur de l’histoire se situe ailleurs. Et Cabral de proposer un correctif au matérialisme historique en suggérant que le véritable facteur de l’évolution historique se situe dans le mode de production et plus exactement dans le niveau et le progrès des forces productives. Ainsi rassuré, il peut conclure sur ce point :«  nous constatons que l’existence de l’histoire avant la lutte des classes est garantie, et évitons par là, à quelques groupements humains de nos pays (...) la triste condition de peuples sans histoire ». Marx n’avait jamais dit autre chose...

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Le problème de la classe révolutionnaire

A ce problème, auquel Cabral propose donc une solution originale, est lié un second : qui dirigera le combat ? Quelle est la classe capable de mener une lutte véritablement révolutionnaire ? Là aussi, Cabral sera fidèle à sa ligne directrice, déjà citée : la lutte doit avoir comme base fondamentale la connaissance de la réalité. Cela l’amènera à proposer et pratiquer des méthodes originales.
L’on se souvient des démêlés de Mao Tsé-Tung avec son propre parti et avec le Komintern à ce sujet, aussi bien en ce qui concerne l’alliance avec la bourgeoisie (le problème du Kuomin-tang), que le caractère révolutionnaire de la paysannerie et le rôle dominant du prolétariat. Les positions ont souvent varié, tant il était difficile à cette époque d’adapter la théorie à la réalité ; et Mao-Tsé-Tung, en fait, contrairement à ce que préconisait Staline, misait sur le caractère révolutionnaire de la paysannerie pour réussir dans son entreprise. Des révolutionnaires d’Amérique Latine comme le « Che » Guevara n’agiront pas autrement. Frantz Fanon lui-même affirmait que la paysannerie est une classe révolutionnaire, c’est-à-dire capable par elle-même à la fois de prendre conscience de la nécessité de la lutte et de mener le combat.
Solution séduisante pour l’Afrique noire, où en l’absence d’une véritable classe ouvrière (« elle n’est qu’un embryon en voie de développement » écrit Cabral) la paysannerie constitue l’essentiel de la population. D’où l’interrogation : « La question de savoir si la paysannerie représente oui ou non la principale force révolutionnaire est d’une importance capitale » . [6] Pour y répondre, il se livre, à plusieurs reprises à une analyse sociale de toutes les couches de la population, appuyée sur une expérience des contacts acquis. Et cela l’amène à conclure que, si la paysannerie est la classe sans doute la plus exploitée, bien que ce soit elle qui fasse vivre le pays par son travail, donc la plus intéressée objectivement par la lutte, ce n’est pas la classe la plus importante historiquement : elle n’est pas révolutionnaire. « Nous savons... d’expérience combien il nous a coûté de l’inciter à la lutte (...). En Guinée, à part certaines zones et certains groupes qui nous ont fait, dès le début, un accueil favorable, nous avons dû, au contraire des communistes chinois, conquérir leur appui à la suite d’ efforts tenaces » . [7]
En vérité, affirmera Cabral, c’est ailleurs qu’il faut chercher : la classe principale, du point de vue historique, est constituée par les salariés, ou d’une façon plus large, par la petite bourgeoisie africaine ( employés de commerce ou des administrations surtout). C’est cette classe, ou cette couche sociale (Cabral emploie tantôt une formule, tantôt l’autre) qui présente le double caractère d’être apte techniquement à utiliser les instruments de l’Etat, à diriger l’appareil, et d’être capable de conscience révolutionnaire car c’est elle qui, par sa situation et ses rapports avec la domination coloniale, prend conscience le plus rapidement du besoin de se libérer ; et d’ailleurs pratiquement, « s’il n’y avait pas tout ce monde des villes - menuisiers, mécaniciens, chauffeurs, travailleurs des bateaux, des transports qui ont été les premiers à faire grève, ingénieurs ou employés qui ont abandonné les Portugais pour s’adonner au travail militant - comment se présenterait la lutte ? Y aurait-il une lutte armé ? » (Idem p. 157).
C’est donc dans cette couche sociale de la petite bourgeoisie que se recruteront les cadres et les militants de la révolution. Certes, ce n’est pas sans danger ; « n’étant pas directement incluse dans le processus de production, la petite bourgeoisie ne dispose pas de bases économiques lui garantissant la prise du pouvoir » ; elle ne peut être classe dirigeante par elle-même, au sens marxiste du terme, et n’a de choix, « pour maintenir le pouvoir que la libération nationale met entre ses mains  », que dans l’alternative suivante : « Laisser agir librement ses tendances naturelles d’embourgeoisement... et nier la révolution en se ralliant nécessairement au capital impérialiste », ou « renforcer sa conscience révolutionnaire, ...s’identifier aux classes laborieuses. Cela signifie que, pour remplir parfaitement le rôle qui lui revient dans la lutte de libération nationale, la petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe, pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifiée avec les aspirations les plus profondes du peuple auquel elle appartient » . [8]
C’est donc une lutte, reposant principalement sur la paysannerie appuyée par les salariés des villes, mais dirigée par la petite bourgeoisie, que préconise Amilcar Cabral, tout en restant parfaitement conscient des problèmes qui se poseront après la victoire (« le suicide d’une classe n’est jamais chose facile, l’expérience le prouve »). Loin du romantisme révolutionnaire, comme du dogmatisme, il s’est efforcé, compte tenu de l’expérience, de définir ainsi les bases sociales de son combat, dans des formes qui ne sont pas parfois sans rappeler certaines pages classiques du marxisme - léninisme (sur le rôle des intellectuels, par exemple). Restent à établir les modalités de ce combat.

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La démocratie révolutionnaire

Là aussi, la rupture avec la structure antérieure est complète ; l’appareil politico-administratif colonial doit être détruit (et non simplement adapté aux circonstances nouvelles), et remplacé par des structures entièrement nouvelles, dans leur organisation comme dans leur esprit ; l’engagement de ne plus reconstituer de ministères à Bissau même en est un peu le symbole. Et comme tout mouvement révolutionnaire de libération nationale triomphant, c’est une démocratie militante et populaire qui doit être mise en place. Là, l’on dispose de documents beaucoup plus précis, car, comme l’on sait, les structures du nouvel Etat ont été définies dès 1971, et mises en place en 1972. L’on peut considérer, bien que l’état de guerre imposât alors des sujétions importantes, qu’elles exprimaient assez bien les idées d’Amilcar Cabral en la matière.
Il s’agit d’une démocratie militante, rompant avec les principes de la démocratie libérale à l’occidentale (mais quelle nation nouvellement indépendante les a repris ?) Encadrée par le « parti d’avant-garde », elle doit être animée d’un esprit nouveau sur lequel insiste beaucoup Cabral ; esprit prométhéen certes, car il s’agit de créer un monde nouveau, esprit militant surtout où les valeurs morales sont exaltées (vérité, dévouement, sacrifice, abnégation, respect du peuple, etc. [23].
Une « démocratie paysanne »
C’est aussi une démocratie populaire, où l’assise est essentielle. Il faut construire d’en bas, dans la campagne, afin d’obtenir une structure solide et profondément enracinée. Très tôt, le projet avait été élaboré d’édifier une nouvelle administration très décentralisée. Ainsi, disait Cabral, « d’une façon générale, nous pensons que toutes les décisions concernant les structure de cette administration nouvelle doivent être prises en fonction des besoins et de la situation de la masse paysanne qui forme la plus grande partie de notre peuple. Aussi il ne devra plus y avoir ces chaînes de commandement datant de la période coloniale : les gouverneurs de province et autres. Nous ne voulons copier aucune structure de ce genre. Surtout, nous voulons décentraliser autant qu’il sera possible »  [24].
L’auto-administration des collectivités de base en est un atout important, si l’on veut éviter la contrainte et obtenir la participation. D’où ce réseau semé de comités de villages qui s’est étendu progressivement dans les zones libérées, dont les responsables étaient de plus en plus élus, et que l’on encourageait à développer les initiatives, prendre des responsabilités accrues dans tous les domaines. C’est l’aspect « démocratie paysanne » qui a frappé certains observateurs d’ailleurs, on se rend compte de plus en plus, actuellement, que c est là le secret de l’adhésion populaire dans les pays en voie de développement, et surtout en Afrique noire (comme le prouvait déjà l’expérience tanzanienne, comme s’y engagent de nombreux Etats, Guinée-Conakry, Madagascar, Sénégal etc.). Cabral a voulu commencer par là mais il est certain que l’extension de cette structure aux zones toujours occupées par les troupes portugaises, et surtout sa transposition dans les villes, posent beaucoup de problèmes actuellement.
A partir de là, l’édifice s’est élevé, comprenant notamment les consuls généraux , et coiffé d’un système de gouvernement du type « conventionnel », cher à tous les révolutionnaires. Ainsi les membres de l’Assemblée Nationale populaire, dont émaneront les organes exécutifs nationaux, sont désignés par les conseillers régionaux élus au suffrage universel secret. Le détail de ces structures est exposé dans l’ouvrage de Cabral (La pratique révolutionnaire, chap. 5, l’Etat de Guinée-Bissau, suivi d’une annexe signée Amilcar Cabral présentant les détails de l’organisation électorale), et il est intéressant d’en souligner quelques traits.

Le système électoral de 1972 et l’assemblée nationale populaire

En effet, le système électoral est conçu pour permettre la désignation des éléments les plus précieux pour l’édification de l’Etat, mais aussi pour assurer un réel contrôle de la base populaire : entreprise difficile si l’on songe qu’en 1972 la guerre faisait encore rage, mais que Cabral a voulu tenter pour donner une base solide à l’Etat qui devait être proclamé unilatéralement en Septembre 1973. Dès lors, l’on comprend que des conditions soient posées pour être électeur (tout citoyen guinéen âgé de 17 ans au moins, à l’exception des « collaborateurs » et des mauvais citoyens) ou éligible (être âgé de 18 ans au moins, avoir une activité précise et surtout être engagé à la fois dans la « cause », dans la lutte et dans la production). La première phase du processus électoral destinée à désigner les conseils régionaux fait participer directement la base, qui doit choisir les candidats des différentes circonscriptions (23 circonscriptions de 6 à 18 représentants dans les zones libérées et les fronts, 5 circonscriptions dans les zones occupées dont les représentants seront provisoirement désignés) ; les listes uniques de candidats doivent être approuvées dans le cadre de réunions publiques ou de comités de bases du parti. Après quoi, les électeurs sont invités à approuver ou rejeter les listes (sur plus de 87.000 inscrits, 91 % approuvèrent). Cette première phase, précédée d’une vaste campagne d’explication, dura environ huit mois.
Puis les 273 conseillers régionaux désignèrent en leur sein les représentants à l’Assemblée Nationale populaire (à l’exception des régions occupées), répartis là encore entre les différentes circonscriptions. Les candidats sont choisis après délibération au sein des conseils, étant précisé que 2/3 d’entre eux doivent être issus des masses populaires [25], et 1/3 seulement des cadres militants du parti ; l’élection se fait à main levée. Au total, un système, qu’il convient de comprendre dans le contexte où il a fonctionné, intéressant surtout parce qu’il s’agissait de la première consultation électorale populaire.
Et c’est l’assemblée ainsi élue qui devait, selon un des derniers messages d’Amilcar Cabral prononcé le 1er janvier 1973 [26], accomplir « la première mission historique qui lui incombe : la proclamation de notre Etat, la création d’un exécutif pour cet Etat, et la promulgation d’une loi fondamentale - la première constitution de notre histoire - laquelle sera la base de l’existence active de notre nation africaine ». C’est donc une assemblée souveraine représentant la nation guinéenne, qui reçoit les pouvoirs constituant et législatif, et doit être l’organe le plus élevé de l’Etat. Et c’est elle qui réalisera le coup de maître imaginé par Cabral, qui a tant démoralisé les troupes portugaises paraît-il : la proclamation, le 24 Septembre 1973, de l’Etat de Guinée-Bissau, Etat « qui a une partie de son territoire national occupé par les forces armées étrangères » [27].
Au total, ce que propose Amilcar Cabral, c’est l’instauration d’un système propre à la Guinée, et non pas un modèle recopié. Ses bases d’analyse sont évidemment marxistes, ses méthodes d’action également inspirées d’une praxis marxiste-léniniste, mais le but est national et autonome, conçu pour être adapté au contexte guinéen. Il ne s’agit pas de s’engager vers un « socialisme africain » selon l’expression généralement admise, qui se singularise par une spécificité résultant des constantes propres à la société africaine ; cette expression n’apparaît nulle part dans les écrits de Cabral, ni les préoccupations qui la sous-tendent, pas plus d’ailleurs que le qualificatif de marxiste ou communiste. Car Cabral, semble-t-il, ne cherche pas tant à qualifier qu’à édifier à partir d’une matière première qu’il connaît parfaitement et dans une perspective qu’il a lui même dégagée en utilisant les conceptions marxistes.
Certes, il savait que la tâche serait rude, les obstacles extérieurs (le néocolonialisme en progrès) et intérieurs (les structures socio-économiques existantes) puissants, et l’on peut se demander si la « démocratie paysanne » et l’autarcie économique ne risquent pas de perdre quelques couleurs après l’indépendance. Mais, et c’est là l’un des traits qui frappent le plus à la lecture de ses textes, Cabral était foncièrement optimiste, ou plutôt confiant dans l’avenir de son pays, de cette confiance qui résulte d’une activité militante intense. Et les événements considérables qui se sont rapidement succédés après sa mort paraissent, jusqu’à présent, ne l’avoir en aucun point démenti.

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