mercredi 16 mars 2011

La Journée Internationale de la Femme 1917, le dernier flocon de l'avalanche, la dernière goutte qui fait déborder le vase, le suicide de Sidi Bouzid et la Révolution de Février 1917 racontée par Léon Trotsky et Maurice Paléologue. (2/3)




Par Yanick Toutain
9-16/3/2011
" Tirez sur l'ennemi ! " commande la monarchie. " Ne tirez pas sur vos frères et sœurs !" crient les ouvriers et les ouvrières. Et pas seulement cela : " Marchez avec nous ! " Ainsi, dans les rues, sur les places, devant les ponts, aux portes des casernes, se déroula une lutte incessante, tantôt dramatique, tantôt imperceptible, mais toujours acharnée, pour la conquête du soldat. Dans cette lutte, dans ces violentes prises de contact entre les travailleurs, les travailleuses et les soldats, sous les continuelles détonations des fusils et des mitrailleuses, se décidaient les destins du pouvoir, de la guerre et du pays.
(Lev Davidovitch Bronstein-Léon Trostky « Histoire de la Révolution Russe »)


Si la « Journée Internationale de la Femme » de 1917 fut le commencement de la Révolution de Février, elle n'en fut pas le déclencheur. On pourrait même dire que le véritable commencement de cette révolution eut lieu dans les journées suivantes. En effet, ce fut la dislocation des forces répressives qui transforma une émeute populaire en révolution véritable.
Des naîfs en tirerait comme conclusion qu'il suffirait alors aux classes exploiteuses de faire tirer sur les foule dès le début pour empêcher définitivement toute insurrection populaire. Mais ces naïfs oublient deux choses. Premièrement, le fait d'assassiner le peuple réclame des assassins. Ce ne sont pas les classes dominantes qui vont sur le champ de bataille de la lutte des classes. Ce sont des êtres humains, les membres de bureaucraties formoises, qui prennent en charge la répression. Et si la corruption peut rendre malléable ces formois, comme on pouvait encore le constater dans le comportement des sbires de Paul Biya le 23 février dernier, pour autant, il faut qu'il y ait une proportionnalité entre les actes des peuples en révolte et les moyens employés. Au moins pour que ces pantins trouvent une légitimité à leur propre comportement. Deuxièmement, il faut aussi prendre en compte l'avenir. Un régime qui passe instantanément à la répression meurtrière ne pourra pas continuer éternellement une guerre ouverte contre son propre peuple. A moins de faire le choix hitlérien dès le départ. Avec toutes les conséquences.
Mais, en mars 1917, la situation n'est pas celle de l'Allemagne de 1933 ni celle de l'Amérique du Sud des années 70.
Les inter-titres et les gras sont de YT dans le but de faciliter l'assimilation de la chronologie et de l'enchaînement des causes et des effets.

La journée du dimanche 11 mars 1917 (26 février calendrier russe)
Maurice Paléologue :
Cette nuit, jusqu'à cinq heures du matin, les ministres ont tenu conseil. Protopopow avait dédaigné de se joindre à ses collègues ; il leur a exposé les mesures énergiques qu'il a prescrites pour maintenir l'ordre «  à tout prix ». En conséquence, le général Khabalow, gouverneur militaire de Pétrograd, a fait placarder, ce matin, cet avis comminatoire :
« Tout rassemblement est interdit. Je préviens la population que j'ai renouvelé aux troupes l'autorisation de se servir de leurs armes, sans s'arrêter devant quoi que ce soit pour maintenir l'ordre. »
Malgré l'avis du gouvernement militaire, la foule se montre de plus en plus tumultueuse et agressive ; elle grossit d'heure en heure sur la Perspective Newsky. A quatre ou cinq reprises, la troupe est obligée de tirer des feux de salve pour n'être pas débordée ; on compte les morts par vingtaines.
Vers la fin du jour, deux de mes agents d'information, que j'avais envoyés dans les quartiers industriels, me rapportent que la rigueur impitoyable de la répression a découragé les ouvriers qui répètent ; « Nous en avons assez d'aller nous faire tuer sur la Perspective Newsky ! »
Mais un autre informateur m'annonce qu'un régiment de la Garde, le régiment de Volhynie, a refusé de tirer. Ceci est un élément nouveau de la situation et me rappelle le sinistre avertissement du 31 octobre dernier.
Pour me reposer de tout le travail et de tout le tracas que m'a infligée cette journée (car j'ai été assiégé par les inquiétudes de la colonie française), je vais, après le dîner, prendre une tasse de thé chez la comtesses F.... qui habite rue Glinka. En la quittant, vers onze heures, j'apprends que les manifestations continuent devant Notre-Dame de Kazan et le Gostiny-Dvor. Aussi, pour rentrer à l'ambassade, je crois prudent de faire un détour par la Fontanka. A peine mon auto s'est-elle engagée sur le quai, que j'aperçois une maison brillamment éclairée devant laquelle stationne une longue file de voitures. C'est la soirée de la princesses Léon Radziwill qui bat son plein ; je reconnais au passage l'auto du grand-duc Boris.
D'après Sénac de Meilhan, on s'amusait beaucoup aussi, à Paris, le soir du 5 octobre 1789.

Léon Trotsky :
Plus on se rapproche des usines, plus on découvre de résolution. Cependant, aujourd'hui, le 26 [dimanche 11 mars], l'alarme gagne les districts. Faméliques, fourbus, grelottants, sous le fardeau d'une énorme responsabilité historique, les meneurs de Vyborg tenaient des conciliabules, hors la ville, dans des potagers, échangeant leurs impressions, essayant d'établir ensemble un itinéraire. Lequel ?... Celui d'une nouvelle manifestation ? Mais à quoi mènerait une démonstration de gens désarmés si le gouvernement avait décidé d'aller jusqu'au bout ? Question qui torture les consciences. " On eût dit seulement que l'insurrection allait être liquidée. " Ainsi s'exprime une voix déjà connue, celle de Kaïourov, et, de prime abord, cette voix, semble-t-il, n'est pas la sienne. Le baromètre était donc tombé bien bas avant la tempête.

"PLUS LOIN QUE NE L'IMAGINAIENT LES PARTICIPANTS "
En des heures où les hésitations touchent même les révolutionnaires les plus proches des masses, le mouvement est allé, en fait, beaucoup plus loin que ne l'imaginent les participants. La veille encore, le soir du 25 [samedi 10 mars], les quartiers de Vyborg se trouvèrent totalement en la possession des insurgés. Les commissariats de police furent saccagés, des agents furent massacrés ; la plupart des autres s'éclipsèrent. Le centre préfectoral du secteur (gradonatchalstvo) eut ses communications coupées avec la plus grande partie de la capitale. Le matin du 26 [dimanche 11 mars], il s'avéra que non seulement ce secteur, mais les quartiers de Peski, presque jusqu'à la Perspective Liteïny, étaient au pouvoir des rebelles. C'est du moins ainsi que des rapports de police ont décrit la situation. En un certain sens, c'était exact, bien que, fort probablement, les insurgés ne s'en rendissent pas tout à fait compte : il est hors de doute qu'en bien des cas la police déserta ses tanières avant même de se trouver sous la menace de l'offensive ouvrière. Mais, indépendamment du fait, l'évacuation des quartiers industriels par la police ne pouvait avoir, aux yeux des travailleurs, une signification décisive, car les troupes n'avaient pas encore dit leur dernier mot. L'insurrection " va être liquidée ", pensèrent des braves entre les braves. Or, elle se développait seulement.
"LES OUVRIERS .... CONVERGENT VERS LE CENTRE "
Le 26 février [11 mars] était un dimanche ; les usines restèrent fermées, et, par suite, il fut impossible de calculer dès le matin, d'après l'ampleur de la grève, la force de la poussée des masses. En outre, les ouvriers ne purent se réunir, comme ils l'avaient fait les jours précédents, dans leurs établissements, et il était plus difficile de manifester. La Perspective Nevsky fut calme dans la matinée. C'est alors que la tsarine télégraphiait au tsar : " Le calme règne en ville. " Mais cette tranquillité ne dure pas longtemps. Peu à peu, les ouvriers opèrent leur concentration et, de tous les faubourgs, convergent vers le centre. On les empêche de passer les ponts. Ils déferlent sur la glace ; car, en février, toute la Néva est un pont de glace. Il ne suffit pas de tirer sur une foule qui traverse un fleuve gelé pour la retenir. La ville a totalement changé d'aspect. Partout des patrouilles, des barrages, des reconnaissances de cavalerie. Les artères qui mènent à la Perspective Nevsky sont particulièrement bien gardées. Fréquemment éclatent des salves, partant de postes en embuscade. Le nombre des tués et des blessés augmente. Des voitures d'ambulance circulent en divers sens. D'où tire-t-on ? Qui tire ? Il n'est pas toujours possible de s'en rendre compte. Sans aucun doute, la police, durement corrigée, a résolu de ne plus s'exposer. Elle tire par les fenêtres, les balcons, de derrière des colonnes, du haut des greniers. Des hypothèses sont faites qui deviennent facilement des légendes. On raconte que, pour terrifier les manifestants, beaucoup de soldats ont été revêtus de l'uniforme de la police. On raconte que Protopopov a fait établir de nombreux postes de mitrailleuses sur les toits. La Commission d'enquête qui fut instituée après la révolution ne trouva pas trace de ces postes. 
"L'ARMÉE QUI, DÉFINITIVEMENT, ENTRE EN ACTION"
La preuve n'est pourtant pas acquise qu'ils n'aient pas existé. Cependant, ce jour-là, la police passe à l'arrière-plan. C'est l'armée qui, définitivement, entre en action. Les soldats ont reçu l'ordre rigoureux de tirer, et ils tirent, principalement ceux qui appartiennent à des écoles de sous-officiers. D'après les données officielles, il y eut, ce jour-là, environ quarante morts et autant de blessés, sans compter ceux que la foule put emmener ou emporter. La lutte aboutit à sa phase décisive. La masse va-t-elle refluer, sous les balles, vers ses faubourgs ? Non, elle ne reflue point. Elle veut gagner la partie.
La ville des fonctionnaires, des bourgeois, des libéraux, Pétersbourg, est dans l'épouvante. Le président de la Douma d'Empire, Rodzianko, réclamait, ce jour-là, l'envoi de troupes sûres du front ensuite il " changea d'idée " et conseilla au ministre de la Guerre, Béliaev, d'employer contre la foule non des fusils, mais les lances des pompiers, de l'eau froide... 
L'EXTRÊME ÉLÉVATION DE TEMPÉRATURE DES MASSES
Béliaev, après avoir consulté le général Khabalov, répondit que les douches d'eau froide avaient un effet contraire, " précisément parce qu'elles sont un excitant ". Tels étaient les entretiens que menaient les libéraux avec les hauts dignitaires et les policiers, sur les avantages relatifs de la douche froide ou chaude pour mater un peuple insurgé. Les rapports de police, ce jour-là, prouvent que les lances des pompiers ne suffisent pas : " Au cours des troubles, on a observé, d'une façon générale, une attitude extrêmement provocante des rassemblements d'émeutiers à l'égard des détachements de troupes, sur lesquels la foule répondait aux sommations en lançant des pierres et des glaçons détachés de la chaussée. Lorsque la troupe tirait en l'air, en manière d'avertissement, la foule, au lieu de se disperser, a répliqué aux salves par des rires. C'est seulement en tirant à balles dans le tas que l'on a réussi à disloquer les rassemblements : encore les participants se cachaient-ils, pour la plupart, dans les cours des maisons voisines et, dès que la fusillade avait cessé, ressortaient dans la rue. " Ce compte-rendu de police témoigne de l'extrême élévation de température des masses. A vrai dire, il est peu probable que la foule ait commencé la première à bombarder de pierres et de glaçons les soldats, même les contingents des écoles de sous-officiers : il y a là une trop grande contradiction avec la psychologie des insurgés et leur sage tactique à l'égard de l'armée. Pour mieux justifier des massacres de masses, les couleurs données au rapport et leur disposition ne sont pas tout à fait celles qui convenaient. Cependant, l'essentiel s'y trouve exactement représenté, et avec une vivacité remarquable : la masse ne veut plus battre en retraite, elle résiste avec une fureur optimiste et tient la rue même après avoir essuyé des salves meurtrières ; elle s'accroche non plus à la vie, mais au pavé, aux pierres, aux glaçons. La foule n'est pas simplement exaspérée, elle est intrépide. C'est qu'en dépit des fusillades, elle ne perd pas confiance dans la troupe. Elle compte sur la victoire et veut l'obtenir coûte que coûte.
"NE TIREZ PAS SUR VOS FRÈRES ET SŒURS.... MARCHEZ AVEC NOUS"
La pression exercée par les ouvriers sur l'armée s'accentue, contrecarrant l'action des autorités sur les forces militaires. La garnison de Pétrograd devient définitivement le point de mire des événements. La période d'expectative, qui dura presque trois jours, pendant lesquels la grande majorité de la garnison put encore garder une neutralité amicale à l'égard des insurgés, touchait à sa fin. " Tirez sur l'ennemi ! " commande la monarchie. " Ne tirez pas sur vos frères et sœurs !" crient les ouvriers et les ouvrières. Et pas seulement cela : " Marchez avec nous ! " Ainsi, dans les rues, sur les places, devant les ponts, aux portes des casernes, se déroula une lutte incessante, tantôt dramatique, tantôt imperceptible, mais toujours acharnée, pour la conquête du soldat. Dans cette lutte, dans ces violentes prises de contact entre les travailleurs, les travailleuses et les soldats, sous les continuelles détonations des fusils et des mitrailleuses, se décidaient les destins du pouvoir, de la guerre et du pays.
"LES ÉTATS D'ÂME SE MODIFIENT SOUVENT"
Les fusillades dirigées sur les manifestants augmentent l'incertitude des meneurs. L'ampleur même du mouvement commence à leur sembler périlleuse. Même à la séance du Comité de Vyborg, le soir du 26, c'est-à-dire douze heures avant la victoire, certains en vinrent à demander s'il n'était pas temps de mettre fin à la grève. Le fait peut sembler surprenant. Mais on doit comprendre qu'une victoire se constate plus facilement le lendemain que la veille. Au surplus, les états d'âme se modifient souvent en répercussion des événements et des nouvelles reçues. A la prostration succède bien vite un nouvel entrain. Les Kaïourov et les Tchougourine ont du courage en suffisance, mais, par moments, ce qui les pince au cœur, c'est le sentiment de leur responsabilité devant la masse. Il y a moins d'hésitation dans les rangs ouvriers. Sur leurs dispositions d'alors, on possède un rapport adressé à l'autorité supérieure par un agent bien renseigné de la Sûreté, Chourkanov, qui joua un rôle important dans l'organisation bolcheviste : " Étant donné que les troupes n'ont point fait obstacle à la foule – écrivait le provocateur – que même, dans certains cas, elles ont pris des mesures pour paralyser les initiatives de la police, les masses se sont senties assurées de leur impunité, et, actuellement, après deux jours de libres allées et venues dans la rue, alors que les cercles révolutionnaires ont lancé des mots d'ordre comme " A bas la guerre !" et " A bas l'autocratie ! " le peuple s'est persuadé que la révolution était commencée, que le succès était assuré aux masses, que le pouvoir serait incapable de réprimer le mouvement, vu que les troupes se rangent du côté des révoltés et que leur victoire décisive est proche, vu que l'armée, aujourd'hui ou demain, prendra ouvertement le parti des forces révolutionnaires et qu'alors le mouvement, loin de s'apaiser, s'accroîtra constamment, jusqu'à une complète victoire et à un renversement du régime. " Appréciation d'une concision et d'une luminosité remarquables ! Ce rapport est un document historique de la plus grande valeur. Cela ne devait pas empêcher, bien entendu, les ouvriers, après la victoire, de fusiller l'auteur.
"LES PROVOCATEURS REDOUTENT ...
LA VICTOIRE DE LA RÉVOLUTION"
Les provocateurs, dont le nombre était formidable, surtout à Pétrograd, redoutent, plus que personne, la victoire de la révolution. Ils mènent leur politique : dans les conférences des bolcheviks, Chourkanov se prononce pour les mesures les plus extrêmes ; dans ses rapports à la Sûreté, il suggère la nécessité de faire résolument usage des armes. Peut-être Chourkanov s'efforça-t-il, à cette fin, d'exagérer même l'assurance des ouvriers dans leur offensive. Mais, dans l'essentiel, il avait raison : les événements devaient bientôt justifier son estimation.
"UN VIOLENT CONTRASTE ENTRE LA CONSCIENCE
ET LES ANCIENNES FORMES DES RAPPORTS SOCIAUX
"
On hésitait et conjecturait dans les sphères supérieures des deux camps, car aucun ne pouvait, a priori, mesurer le rapport des forces. Les indices extérieurs avaient définitivement cessé de servir de mesure : un des principaux traits d'une crise révolutionnaire consiste, en effet, en un violent contraste entre la conscience et les anciennes formes des rapports sociaux. Les nouvelles proportions des forces gîtaient mystérieusement dans la conscience des ouvriers et des soldats. Mais, précisément, le passage du gouvernement à une offensive appelée et précédée par celle des masses révolutionnaires transforma le nouveau rapport de forces de potentiel en effectif. L'ouvrier dévisageait le soldat bien en face, avidement et impérieusement ; et celui-ci, inquiet, décontenancé, détournait son regard ; ce qui marquait que le soldat n'était déjà plus bien sûr de lui. L'ouvrier s'avançait plus hardiment vers le soldat. Le troupier morose, mais non point hostile, plutôt repentant, se défendait par le silence et parfois de plus en plus souvent – répliquait d'un ton de sévérité affectée pour dissimuler l'angoisse dont battait son cœur. C'est ainsi que s'accomplissait la brisure. Le soldat se dépouillait évidemment de l'esprit soldatesque. Et encore, en ce cas, ne se reconnaissait-il pas tout de suite lui-même. Les chefs disaient que le soldat était enivré par la révolution ; il semblait au soldat qu'au contraire il reprenait ses sens après l'opium de la caserne. Ainsi se prépara la journée décisive : le 27 février [lundi 12 mars].
LA 4° COMPAGNIE DU RÉGIMENT PAVLOVSKY SE MUTINA
Pourtant, la veille encore, un fait s'était produit qui, pour être épisodique, ne donne pas moins une nouvelle couleur à tous les événements du 26 février [dimanche 11 mars] : vers le soir se mutina la 4e compagnie du régiment Pavlovsky, gardes du corps de sa majesté. Dans le rapport écrit d'un commissaire de police, la cause de cette révolte est indiquée, en termes tout à fait catégoriques : " C'est un mouvement d'indignation à l'égard des élèves sous-officiers du même régiment qui, se trouvant de service sur la Perspective Nevsky, ont tiré sur la foule. " Par qui la 4e compagnie fut-elle informée ? Sur ce point nous renseigne un témoignage conservé par hasard. Vers deux heures de l'après-midi, un petit groupe d'ouvriers accourut aux casernes du régiment Pavlovsky ; en paroles entrecoupées, ils faisaient part de la fusillade sur la Nevsky. " Dites aux camarades que les vôtres aussi tirent sur nous ; nous avons vu sur la Perspective des soldats qui ont votre uniforme ! " Le reproche était cinglant, l'appel ardent. " Tous étaient accablés et livides. " Le grain ne tomba point sur de la pierre. Vers six heures, la 4e compagnie quitta de son propre gré les casernes, sous le commandement d'un sous-officier – lequel ? son nom s'est perdu sans laisser de traces, parmi des centaines et des milliers d'autres noms héroïques – et se dirigea vers la Nevsky pour relever les élèves sous-officiers du régiment. Ce n'était point une mutinerie à propos de viande avariée ; c'était un acte de haute initiative révolutionnaire.
SOLDATS CONTRE POLICIERS TSARISTES
En chemin, la 4e compagnie eut une escarmouche avec une patrouille de police montée, tira, tua un agent et un cheval, blessa un autre policier et un autre cheval. L'itinéraire que suivirent ensuite les " pavlovtsy ", dans la cohue, n'a pas été reconstitué. Ils regagnèrent leurs casernes et soulevèrent le régiment tout entier. Mais les armes avaient été cachées ; d'après certaines données, les mutins se seraient pourtant emparés de trente fusils. Bientôt, ils furent cernés par le régiment Préobrajensky ; dix-neuf des " pavlovtsy " furent arrêtés et écroués à la forteresse ; les autres se rendirent. D'après d'autres informations, vingt et un soldats manquèrent, ce soir-là, à l'appel, avec leurs fusils. Dangereuse " fuite ".
"21 SOLDATS ALLAIENT TOUTE
LA NUIT SE CHERCHER DES ALLIES
"
Ces vingt et un soldats allaient toute la nuit se chercher des alliés, des défenseurs. Il n'y avait que la victoire de la révolution qui pût les sauver. Les ouvriers apprendraient d'eux, à coup sûr, ce qui s'était passé. Ce n'est pas un mauvais présage pour les batailles du lendemain.
Nabokov, un des leaders libéraux les plus en vue et dont les véridiques Mémoires semblent être parfois le journal intime de son parti et de sa classe, rentrait à pied d'une soirée passée chez des amis, vers une heure du matin, par des rues sombres et anxieuses ; il revenait " alarmé et plein de sombres pressentiments ". Il se peut qu'il ait rencontré à quelque carrefour un des déserteurs du régiment Pavlovsky. Tous deux se hâtèrent de s'écarter : ils n'avaient rien à se dire. Dans les quartiers ouvriers et dans les casernes, certains veillaient ou se consultaient, d'autres, plongés dans un demi-sommeil de bivouac, rêvaient fiévreusement au lendemain. Par là le déserteur " pavlovets " trouvait un asile.
"LES MASSES N'ÉTAIENT PRESQUE PAS DIRIGÉES"
Combien indigentes les notes prises sur les combats de masses en Février, même comparées aux comptes rendus peu remplis qui ont été donnée des batailles d'Octobre. En Octobre, les insurgés furent quotidiennement sous la direction du parti, dont les articles, les manifestes, les procès-verbaux représentent au moins la continuité extérieure de la lutte. Il n'en fut pas de même en Février. D'en haut, les masses n'étaient presque pas dirigées. Les journaux se taisaient, la grève étant toute-puissante. Les masses, sans regarder derrière elles, faisaient elles-mêmes leur propre histoire. Reconstituer un vivant tableau des événements qui se sont produits dans la rue est presque inconcevable. On doit être heureux si l'on réussit à en retrouver la succession générale et la logique interne.


mercredi 9 mars 2011


La Journée Internationale de la Femme 1917, le dernier flocon de l'avalanche, la dernière goutte qui fait déborder le vase, le suicide de Sidi Bouzid et la Révolution de Février 1917 racontée par Léon Trotsky et Maurice Paléologue. (1/3)

par Yanick Toutain
9/3/2011
"En fait, il est donc établi que la Révolution de Février fut déclenchée par les éléments de la base qui surmontèrent l'opposition de leurs propres organisations révolutionnaires et que l'initiative fut spontanément prise par un contingent du prolétariat exploité et opprimé plus que tous les autres – les travailleuses du textile, au nombre desquelles, doit-on penser, l'on devait compter pas mal de femmes de soldats. La dernière impulsion vint des interminables séances d'attente aux portes des boulangeries. Le nombre des grévistes, femmes et hommes, fut, ce jour-là, d'environ 90 000. Les dispositions combatives se traduisirent en manifestations, meetings, collisions avec la police."
(Lev Davidovitch Bronstein-Léon Trostky « 
Histoire de la Révolution Russe » L'édition utilisée est celle du site Marxists.org)

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