mercredi 4 avril 2012

sur El Watan : "Lorsqu’un officier de police s’érige en juge"

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Histoire tragique d'une femme chef d'entreprise

Lorsqu’un officier de police s’érige en juge

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le 04.04.12 | 10h00 7 réactions

L’histoire de Naziha, chef d’entreprise, relève de l’irréel. Son ex-associé fait intervenir un officier de police pour la convoquer au commissariat par téléphone et lui faire signer la restitution d’un équipement d’une valeur de 10 millions de dinars qu’elle avait obtenu
en contrepartie de sa cession des parts dans la société. Son récit est hallucinant…
 

La jeune Naziha est chef d’entreprise. Quelques problèmes avec son associé et les portes de l’enfer se sont ouvertes devant elle. Son histoire est hallucinante. Tout a commencé au mois d’août 2011, lorsqu’elle a décidé de céder 50% de ses actions au sein de l’entreprise de carrosserie à son associé, contre une partie du patrimoine de l’entreprise, évalué à 10
millions de dinars. Et alors qu’elle se rendait compte que son ancien associé voulait, en fait, l’escroquer, elle tente de régler la situation à l’amiable. Le 13 septembre 2011, et contre toute attente,  elle reçoit un coup de téléphone sur son nouveau numéro de portable, du commissariat de Dar El Beïda.
L’interlocuteur se présente comme étant le commissaire et l’informe que son associé a déposé plainte contre elle pour «vol» d’équipements et de véhicules. «Au début, je lui ai dit que je n’allais pas me présenter au commissariat, mais j’étais tellement terrorisée par ses menaces que j’ai fini par accepter. J’ai demandé à mon frère de m’accompagner et une fois sur les lieux, le commissaire nous a fait entrer dans son bureau et là j’ai compris qu’il n’était pas le vrai commissaire.
Il avait deux étoiles seulement comme grade. Il a exigé de moi de restituer immédiatement le matériel que j’aurais volé à mon associé. Mieux, il m’a même sommée de lui remettre les clés de la voiture avec laquelle je suis venue au commissariat. Il m’a précisé qu’il me faisait une faveur, dans la mesure où, selon lui, dans pareil cas, il donne instruction par radio aux policiers pour m’arrêter, me mettre les menottes et me placer en détention pour me présenter le lendemain devant le procureur de la République. Il m’a donné deux jours pour ramener au commissariat le reste du matériel. Je me suis donné toutes les peines du monde pour lui expliquer que cet équipement me revenait de droit et qu’il y avait un litige entre mon associé et moi, mais en vain. L’officier ne voulait rien entendre. Il m’a enlevé la voiture, qu’il a remise à mon associé, et a insisté pour que je lui ramène l’équipement», raconte Naziha.
Les larmes aux yeux, elle s’arrête un moment, puis poursuit son récit tragique. «Le lendemain, je reçois un autre appel de l’officier. Il me demande de passer seule au commissariat. J’ai insisté pour qu’il y ait avec moi mon père, mais il était catégorique. Je devais me présenter seule. J’ai passé une bonne partie de la journée dans son bureau  à entendre l’histoire de sa vie. Il insistait pour que je lui ramène les équipements, et moi je lui expliquais qu’ils sont ma propriété. Il reconnaît que je disais la vérité, mais il refusait de me laisser partir sans être certain que je restitue le matériel. Il m’a alors menacée de me présenter lui-même devant le procureur. Je ne connaissais pas la procédure. Je pensais qu’il pouvait le faire sans aucune plainte. J’ai eu un malaise cardiaque. Je me suis évanouie. Mon cousin qui m’attendait dehors m’a transportée à l’hôpital. J’ai dû garder le lit durant des jours», témoigne Naziha. Ses malheurs ne vont pas s’arrêter, en dépit de son état de santé.
L’officier continue à la «harceler» par téléphone. «Il m’appelait à toute heure de la journée et de la nuit pour faire pression sur moi. Il me menaçait de transmette le dossier à la justice pour obtenir un mandat de dépôt et me mettre en prison. Toute ma famille était perturbée par cette histoire. Mon oncle m’a demandé de l’accompagner au commissariat pour trouver une explication ou un terrain d’entente. J’ai dû accepter. Et une fois là-bas, l’officier me demande de ne plus revenir au commissariat et que mon oncle pouvait se présenter à ma place. Depuis, tous les jours ce dernier se retrouve face à l’officier et à mon ex-associé dans le bureau de l’officier. Des choses monstrueuses lui ont été dites à mon sujet.
Quelques fois mon oncle se faisait accompagner par mon frère, et à chaque fois, l’officier était en compagnie de mon ex-associé et les discussions tournaient toujours aux insultes, accusations et menaces contre ma personne. La pression est devenue telle qu’elles m’ont fragilisée. Mon état de santé s’est dégradé et toute la famille, mes enfants et mes parents en souffraient. J’ai décidé alors de restituer ce qui m’appartenait de droit.
J’ai donné tout le matériel à mon oncle qui l’a remis au commissariat sans que je sois présente. Mon ex-associé était là comme d’habitude. Il a pris le matériel et rendu quand même la voiture que le commissaire m’avait enlevée. Mon oncle a signé un registre», déclare Naziha. Les mains tremblantes, la voix entrecoupée de sanglots, cette jeune femme n’arrive pas à admettre qu’un représentant de la loi puisse agir de la sorte.
Elle poursuit son récit : «Lorsque mon oncle a remis le matériel d’une valeur de 10 millions de dinars,  le commissaire m’a encore appelée en m’exigeant de restituer le chèque d’un montant de
1 560 000 DA accompagné d’un procès-verbal. J’ai refusé, mais il a insisté. Il faisait pression sur mon oncle pour lui ramener le chèque allant jusqu’à lui dire qu’il pouvait partager la somme en deux. Je n’en pouvais plus. J’ai alors décidé de porter plainte contre mon ex-associé et le commissaire.» Et effectivement, le 27 septembre 2011, Naziha se présente chez le doyen des juges d’instruction près le tribunal d’El Harrach auprès duquel elle a déposé plainte contre  son ex-associé et le commissaire.
Le 2 novembre 2011, le juge d’instruction l’entend sur l’affaire liée à son ex-associé seulement.
Pour ce qui est du commissaire, il lui précise qu’elle doit déposer plainte auprès du procureur. Ce qu’elle fera et ce n’est qu’en janvier 2012 qu’elle sera convoquée par la division Est de la police à Bab Ezzouar. Elle est entendue au même titre que son oncle, son cousin et un employé de son ancienne entreprise.
Depuis aucune nouvelle sur sa plainte.
Elle apprendra par la suite que l’officier qui la harcelait a gagné entre-temps des galons et que durant toute la période où elle était convoquée au commissariat, aucune plainte n’avait été déposée contre elle.
Son ex-associé l’aurait assignée en justice durant le mois de janvier pour, entre autres, «menace de mort». «Comment pourrai-je le menacer de mort alors qu’il me terrorisait avec la pression du commissaire. Durant toute ma vie je n’ai jamais connu l’intérieur d’un commissariat. Je me sens terriblement humiliée. Chaque jour où je mettais les pieds dans ce commissariat, je me sentais déshabillée. J’ai entendu les pires choses de ma vie. Je me sens détruite à tout jamais. Je veux que justice soit faite pour que d’autres femmes ne subissent pas l’infamie que j’ai eu à supporter. Les messages SMS que je recevais de la part du commissaire et de mon ex-associé sont la pire des humiliations. Aucune femme n’aurait résisté à ces souffrances», lance Naziha. Avec du recul, elle dit avoir décidé de briser le mur du silence pour que sa plainte trouve enfin une suite. «Je veux juste que justice soit faite. Rien de plus. Ma dignité et mon honneur en tant que citoyenne ont été bafoués par un homme de loi. C’est ce qui fait le plus mal. Et ça je ne veux plus qu’une autre femme le subisse», conclut Naziha.

 

La DGSN «invite les personnes lésées à saisir ses services» :

Contacté pour avoir sa version des faits, le chargé de la communication de la Direction générale de la Sûreté nationale n’a pas été au fond de l’affaire posée par Naziha. Il s’est contenté de déclarer : «S’agissant de la déclaration faite par la concernée qui présume être victime d’un parti pris d’un fonctionnaire de police, je porte à l’aimable connaissance de la plaignante et des citoyens que les officiers de police judiciaire, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions se réfèrent scrupuleusement aux dispositions contenues dans les codes pénal et de procédure pénale, ainsi qu’aux instructions du parquet compétent.»
Il précise néanmoins que la Direction générale de la Sûreté nationale, «soucieuse de la légalité de ces actions, invite toute personne qui se considère lésée, à saisir ses services disponibles 7J/7, en vue de faire toute la lumière sur le bien-fondé des doléances et prendre éventuellement les mesures qui s’imposent».

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