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jeudi 7 juillet 2016

Le putsch terroriste de Sarkozy VS Gbagbo en Côte d'Ivoire Le témoignage de Sidiki Bakaba en 2011

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JEUDI 7 JUILLET 2016

Le Nouveau Courrier du 21 Juin 2011



QUAND SIDIKI BAKABA TEMOIGNE – COMMENT IL S’EST RETROUVE À LA RESIDENCE

« Je n’avais pas forcément l’intention de faire un film sur la crise postélectorale. Contrairement à ce qu’une légende bien orientée prétend, je ne suis pas allé sur le front avec l’intention de me battre arme au poing. C’est le front qui est venu vers moi ! Ma maison se trouve dans le pourtour présidentiel, à quelques minutes à pied de la Résidence présidentielle. Progressivement, les bruits de guerre se sont rapprochés. Un jour, je me réveille, et je vois devant mon domicile quelques centaines de jeunes combattants loyalistes. Ils m’expliquent qu’Abidjan est divisée, et que seuls les combattants sont dans la rue. Ils se reconnaissent par des noms de code bien spéciaux. Les uns, c’est « ami ami », les autres c’est « miaou miaou ».
Bref, ils m’expliquent que je ne peux pas sortir seul même pour acheter du pain. Et ils me proposent de m’escorter, de me protéger d’une certaine manière. J’écoute ces jeunes soldats, qui sont mes compagnons par la force des choses. Et il me semble que je retrouve dans leur bouche les mêmes mots que ceux des jeunes qui, les mains nues, ont affronté les chars français en novembre 2004. Sauf que là, ils sont armés. Ils disent qu’ils sont prêts à mourir… Ils répètent : « Nous voulons libérer la Côte d’Ivoire, nous voulons libérer l’Afrique. L’indépendance que vous, nos oncles, avez eue, elle n’est pas réelle. Nous avons la mémoire de 2004. Cette fois, cela ne se passera pas comme ça, ils ne nous trouveront pas les mains nues ». La phrase « il faut libérer l’Afrique » crée une résonance en moi. Nous l’avions prononcée il y a longtemps, quand j’étais jeune, quand nous commencions à remettre en cause les indépendances dans nos pays. Je suis donc allé voir, sentir, et pourquoi pas témoigner de ce qui apparaissait déjà comme un remake de novembre 2004 ».
VIVRE L’HISTOIRE
« Je ne voulais pas travailler à partir de ce qui a été écrit ou raconté par d’autres, mais vivre cette histoire-là, à l’endroit où je me trouvais. Comme les équipes de la chaîne de télévision franco-allemande Arte ont filmé la descente sanglante des FRCI à Abidjan, moi, je filmais ce qui est très vite apparue comme une résistance « héroïque » : quelques centaines de combattants qui font face aux assauts répétés d’adversaires soutenus logistiquement par l’armée française et par l’ONUCI. Mais qui, systématiquement, battent en retraite, perdent des hommes en masse, s’enfuient en laissant des liasses de faux billets offerts par leurs commanditaires poli- tiques – un mensonge fondamental qui explique sans doute aujourd’hui les actes de sabotage économique et de pillage forcené des FRCI.
Moi, qui ne peux plus dormir chez moi dans ce contexte explosif, filme également le petit monde qui s’est aggloméré autour de Laurent Gbagbo à la Résidence, préparé à partager une destinée tragique. Je vois arriver là les généraux Philippe Mangou (chef d’état-major des Armées) et Edouard Tiapé Kassaraté (patron de la gendarmerie). Des généraux que la rumeur accuse déjà de trahison. Très vite, Laurent Gbagbo nous éconduit, le cameraman de la RTI et moi. « Nous avons à nous dire des choses qui ne se disent pas devant les caméras », explique le chef de l’Etat. (…)
LES BOMBARDEMENTS SUR LA RESIDENCE
« À partir du 7 avril, les attaques des hélicos se sont intensifiées. On était obligés de se réfugier au sous-sol. Le 9 avril, la dégradation s’est accélérée. La bibliothèque de la Résidence a pris feu, contaminée en quelque sorte par des voitures qui se trouvaient dans la cour et qui, bombardées, avaient explosé littéralement.
Le vendredi, le bureau du président a été mitraillé au moment où il venait d’y entrer pour travailler un peu, comme si ses ennemis maîtrisaient ses mouvements. Miraculeusement, Gbagbo s’en sort, et retourne au sous-sol.
QUAND UN HELICO LE VISE
Le dimanche 10 avril, en milieu d’après-midi, l’amiral Vagba Faussignaux annonce que les forces internationales vont venir chercher l’ambassadeur d’Israël, et demande aux soldats de ne pas tirer sur leurs hélicos. Il est 16h40. Très rapidement, une intense campagne de bombardements – la plus terrible ! – est engagée. Et moi qui me trouve dans la cour, au niveau de la guérite, à l’entrée de la Résidence, je suis pris pour cible, contrairement à un canon bitube, qui ne se trouve pas trop loin. Une caméra accusatrice est sans doute une arme lourde bien plus menaçante… Je sens quelque chose d’animal.
Je me dis : « Cet hélico va me tirer dessus ». Je rentre dans le poste de contrôle. Je me couche par terre, et le mur s’effondre. Je suis comme projeté en l’air. Je retombe par terre. Je psalmodie. « Il n’y a de Dieu que Dieu ». Trois fois. Je me lève : une de mes jambes ne répond plus. Je sautille. Je me traîne jusqu’à l’infirmerie. Mon sang gicle de partout. Ils essaient de me soigner. Mais mon instinct de survie me pousse à ramper jusqu’au bâtiment principal. Je veux aller y mourir dignement.
Là-bas, les médecins commencent à m’inciser avec des rasoirs, sans anesthésie. Ils sortent des éclats d’obus tout noirs de mon corps. C’est atroce. J’ai des moments de perte de connaissance. Et des fois je reprends connaissance. Je dis des choses, je les chante. Je répète que cette indépendance réelle, dont ces jeunes qui sacrifient leurs vies rêvent, deviendra réalité un jour. A titre personnel, je suis persuadé que je vais mourir. Des rideaux brûlent. Les personnes les plus religieuses parmi nous semblent partagées entre transe et peur.
Je sens que c’est fini, avec la force des explosions. J’accepte le principe de ma mort. Je me dis que j’ai atteint plus de 60 ans, sur un continent où l’espérance de vie est de moins de 50 ans. Je n’ai ni le sentiment d’être un héros ni celui d’être un lâche, mais un homme qui meurt dignement ».
LE FAMEUX 11 AVRIL
Le lundi 11, les bombardements ont repris avec une force inédite. Trente chars français et six hélicos. Ce sont les chars qui détruisent le portail d’entrée à la Résidence. Les hélicos crachent leur déluge de flammes… et le sous-sol prend feu à nouveau. On veut remonter par la buanderie. Mais un commandant de l’armée nous dit que si on le fait, ils vont nous canarder. Nous sommes coincés dans un tunnel. Avec le chef de l’Etat, son épouse, les ministres. Il n’y a pas d’issue de secours.
Le portail de secours est bloqué. Celui qui en avait les clés a disparu. Avec les clés. Notre seul choix : mourir canardés ou asphyxiés. Pendant près de trente minutes, le commandant mitraille ce portail. Il réussit à le défoncer. Nous cachons le chef de l’Etat dans un endroit pas loin de la bibliothèque. C’est à ce moment-là que Désiré Tagro appelle les Français pour demander l’arrêt des tirs. On lui remet un drapeau blanc pour qu’il sorte négocier. Quand il sort, on lui tire dessus. Il revient pour dire au chef de l’Etat : « ils vont nous tuer ».
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Cinq minutes après, des rebelles pénètrent dans la Résidence. »Le carnaval de violence commence, malgré le fait qu’Hervé Touré dit « Vétcho », s’oppose à l’assassinat des civils. Des personnes ont été tuées au rez-de-chaussée. Des coups de kalach, des coups de couteau, des balles dans les fesses… Les nouveaux “prisonniers”, y compris les religieux, mis entièrement nus, sans le moindre cache-sexe, doivent chanter, “On va installer ADO”. Certaines personnes sont mitraillées dans la cour. Et tombent. Mortes ? très probablement.
Les autres n’ont pas le temps de voir s’ils sont récupérables. Un homme filme sans relâche ce spectacle macabre. C’est un militaire français, un Blanc, le seul qui est franchement visible aux côtés des FRCI, qui est descendu des chars avec eux. Ce sont ses images à lui qui seront présentées par le ministre de la Défense française, Gérard Longuet, comme ayant été prises par la troupe d’Alassane Ouattara.
SAUVE PAR PAUL MADYS ET UN MILITAIRE FRANÇAIS
Quand je reprends conscience avant de m’évanouir à nouveau quelques temps après – je suis face à trois personnes, habillées en treillis. Chacune est coiffée d’un bonnet et d’une plume sur la tête. L’un d’entre eux dit, comme dans une scène de western : “Ah ! Sidiki Bakaba, toujours fidèle ! Fidèle jusqu’au bout ! Moi, j’aime les gens fidèles !” Il a un drôle de sourire aux lèvres. Il informe une personne par téléphone et par talkie walkie, de la présence du premier directeur général du Palais de la Culture d’Abidjan. “Au moins, il me connaît”, me dis je. Le plus jeune des trois hommes en treillis dévisage le “kôrô” mal en point, incapable de se défendre, à l’article de la mort. Il m’insulte en malinké, soulève la crosse de sa kazakh, me donne un violent coup sur la tête, puis en plein dans l’arcade sourcilière, me promettant de me bousiller un oeil. Malgré mon état, je sens une agression terrible. Il me prend ma montre et un talisman en argent. Il ne me reste que le chapelet de ma mère. Je retombe dans les pommes. Après avoir entendu dire : “On l’a attrapé, on le tient maintenant, Gbagbo.”
Quand je me réveille, je suis dans une brousse que je ne parviens pas à distinguer. En réalité, nous nous trouvons à proximité de le brigade de gendarmerie en contrebas de la résidence de Madame Thérèse Houphouët-Boigny avec d’autres blessés considérés comme trop amochés pour arriver à l’hôtel du Golf, où les caméras des journalistes de la presse internationale sont déjà allumées. Il est donc question, pour l’armée de Ouattara, de nous achever là. Mais les FRCI se heurtent au refus des soldats français. Derrière nous, il y a plusieurs soldats des FRCI avec des kazakhs qui nous promettent une mort certaine.
En face de moi, je vois trois silhouettes de militaires français, qui semblent s’opposer. À ma gauche, le chanteur Paul Madys. Avec toute son énergie, il est en train de plaider pour nous auprès des soldats français. Il dit : “On vous demande pardon, ne nous laissez pas. Ceux qui sont derrière, là, vont nous tuer.” En désespoir de cause, il offre sa vie pour la mienne. Il me regarde et dit aux soldats français : “Celui-là, vous ne pouvez pas le laisser. Prenez-le et laissez-moi, je vais mourir à sa place.” À ces mots, entre la vie et la mort, je ressens une sorte de “bouffée”, un “élan de foi en l’homme”. “C’était le contraire de l’inhumanité, de la violence que m’avait infligée le “blakoro” des FRCI à la résidence présidentielle. Dans cette Côte d’Ivoire, à ce moment-là, un homme, un frère, qui n’avait rien d’un mandingue, qui avait au moins vingt ans de moins que moi, donnait sa vie pour moi…” Alors que ses collègues veulent s’en aller, promettant aux blessés agglutinés là que l’ONUCI viendra les chercher, un militaire français fait le tour de son visage de son doigt, regarde Paul Madys dans les yeux et lui fait le serment de ne pas les abandonner, quand bien même ses collègues le feraient.
Il se débrouille pour trouver un char pour conduire les blessés au CHU de Cocody. (…) “Pour la première fois depuis longtemps, je ressens de la fraîcheur, je me sens bien, je perds connaissance.”À son réveil, je suis dans un tout autre décor. J’ouvre les yeux, je suis dans un hôpital. Les gens qui s’occupent de moi représentent l’espoir. Le médecin est akan, il y a là un gars de l’ouest, là une femme du Nord. Des fois, ils vont jusqu’à me prodiguer quatre heures de soin. Comme pour symboliser une Côte d’Ivoire unie par-dessus tout. Si j’étais mort dans cet hôpital, je serais parti avec cette image-là de mon pays, tout en me souvenant que celui qui a failli m’achever de ses coups de crosse sur le crâne était du nord.”
Au Chu, l’inquiétude règne. Et pour cause : les FRCI viennent enlever les malades pour les achever. Ceux qui le peuvent s’enfuient, avec la force qui leur reste. Je ne peux pas bouger. Une rumeur opportune, sans doute suscitée par ses protecteurs hospitaliers, me tient pour mort.Mais je vis. Dans le secret, mon épouse Ayala, qui se trouve en France, engage des démarches auprès du HCR à Paris, qui contacte la cellule africaine de l’Élysée, qui ne peut plus dire qu’elle ne savait pas. Nos polices d’assurance permettent une évacuation sanitaire. Mais ma femme doit rédiger, au travers de l’ambassadeur Ally Coulibaly à Paris, une lettre affirmant que son époux sort du pays en tant que Français et non en tant qu’Ivoirien.
Arrivé à l’aéroport dans une ambulance, je me déplace en fauteuil roulant. A ma vue, la petite foule des voyageurs et du personnel en service fond en larmes. « Mon Dieu ! On nous a dit que vous étiez mort ! », crient certains. Je m’engouffre dans l’avion, rempli à 70% de militaires français rentrant au pays, leur «mission» accomplie. Marqué par la haine selon son expression, je me prépare à de longs mois de soins et de rééducation.
POURQUOI IL NE RENIE PAS GBAGBO
Je retiens qu’aux derniers moments avant son arrestation, il m’aura vu. L’ami est l’ami, dans ma culture. Aujourd’hui qu’il est dans une situation difficile, je ne crache pas sur Gbagbo. Il a certes des défauts, mais il n’est pas le monstre qu’on dépeint. Je n’aurais pas composé avec un monstre. Il y a une sagesse qui dit chez nous « le fou de quelqu’un ici est le sage de quelqu’un ailleurs ».
L’homme que je connais est un homme qui m’a respecté, qui a respecté mes créations même s’il n’en a pas toujours fait une promotion à la mesure de ce que j’attendais. Je retiens qu’il m’a respecté, qu’il a respecté mon travail en se refusant à interférer, et c’est très important pour un homme de culture soninkée. Je pense que ces derniers jours là, il a dû penser aux petites anecdotes que je lui rappelais quand on avait l’occasion d’avoir des moments d’intimité.
Comme celle du rapport entre Samory, le dernier empereur résistant face à la pénétration coloniale, avec son ami et aîné Morifindian Diabaté, griot, mémoire vivante du pays et capitaine. Quand Samory a été arrêté à Guélémou en Côte d’Ivoire, Diabaté a proposé d’aller avec lui en prison. Les Français ont dit « non », et sont allés avec Samory au Gabon. Plusieurs mois plus tard, Morifindian est arrivé au Gabon par ses propres moyens. Ils se sont parlé, se sont rappelé les moments de gloire et les moments tristes. Quand Samory est mort, Diabaté l’a enterré.
Les Français lui ont proposé de le ramener en Côte d’Ivoire. Il a refusé. Il a creusé sa propre tombe à côté de celle de Samory. Et il leur a dit : « Quand je mourrai, vous m’enterrerez ici ». Et ses dernières volontés ont été respectées. Ce n’est qu’à la fin de son règne que Sékou Touré a ramené leurs cendres dans leur terroir ancestral mandingue, en Guinée. Ce n’est pas leurs faits de guerre, leur gloire, qui ont alors été célébrés, mais leur serment d’amitié, la valeur du serment d’amitié.
Là où il est, peut-être mon grand-frère se dira que je ne suis pas Louis Sépulvéda, romancier et compagnon de route d’Allende jusqu’à sa fin tragique au palais de la Moneda. Je ne suis pas Morifindian Diabaté, mais je suis Sidiki Bakaba avec mon histoire. Ceux qui racontent que j’ai combattu les armes à la main doivent savoir que je ne suis pas André Malraux qui s’est engagé et s’est battu dans un avion militaire contre le franquisme en Espagne. Il l’a fait par conviction. Il n’a pas été diabolisé pour autant. De Gaulle en a fait son ministre de la Culture. Moi, Sidiki Bakaba, j’attends mon De Gaulle »
in Le Nouveau Courrier du 21 Juin 2011

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