Lorsque François Fillon a annoncé que le 23 mai s’ajouterait au 10 mai pour célébrer la mémoire de l’esclavage, personne n’a rien compris et je suppose qu’il n’a rien compris lui-même. Nicolas Sarkozy a parlé d’une promesse électorale qu’il se devait de tenir. Mais vis-à-vis de qui s’est-il engagé ? Dieu seul le sait. Le 23 mai ? Pourquoi pas le 24 ou le 26 ? À cause d’une marche qui a eu lieu il y a dix ans ? Cela paraît un peu insuffisant pour que toute la France s’extasie. Pendant la campagne électorale présidentielle, est apparu un inconnu, Patrick Karam, qui s’est présenté au candidat Sarkozy comme la personnalité la plus populaire de l’Outre-Mer sur la foi d’une « puissante association » qu’il a créée en 2003 et financée, paraît-il «sur ses économies», ce qui est méritoire quand on sait le mal qu’il a pour offrir un verre d’eau. D’où vient ce Karam ? Personne ne l’a jamais su. Le personnage est haut en couleur et finalement assez sympathique (au second degré bien sûr). Origines libanaises ou peut-être cubaines, torse bombé, tête de catcheur, oeil de biche, vocabulaire de colleur d’affiche, manières de vendeur de saucisses. Brut de décoffrage, fort en gueule, caractériel, se disant ceinture noire de karaté, parlant un français approximatif mâtiné de créole, il brandit l’invective et menace volontiers d’en venir aux mains lorsqu’il est contrarié. N’annonçait-il pas naguère, l’œil injecté de sang, et maîtrisant mal une soudaine crispation du muscle facial qui décèle sa colère, son intention de «kärcheriser Sarkozy», de «péter la gueule à Claude Guéant», de s’enchaîner aux grilles de l’Élysée si on ne lui donnait pas séance tenante une voiture de fonction de grosse cylindrée ? J’ai assisté à une scène mémorable où il a fallu le retenir à deux dans un café, car le bougre venait d’apercevoir Alain-Gérard Slama, le chroniqueur du Figaro, auquel, allez savoir pourquoi, il voulait administrer séance tenante une sévère correction. Je me suis toujours demandé si c’était de la folie ou de la bêtise. Sans doute un peu des deux. Ayant un penchant pour les excentriques, j’ai fini par trouver le personnage assez amusant et à m’en égayer de temps en temps. Karam n’a jamais vraiment été un ami, mais, je l’avoue, pendant un temps j’ai eu un faible pour lui et je l’ai même supporté plusieurs fois à déjeuner, ce qui est une épreuve, même lorsqu’on n’est guère pointilleux sur le savoir-vivre. J’ai fait semblant de ne pas entendre ses plaisanteries douteuses sur les « makomés » (manière péjorative de désigner les homosexuels aux Antilles). Des plaisanteries si récurrentes que je me suis demandé s’il n’en était pas un, si ce n’était pas une manière de me déclarer sa flamme. Tout cela aurait pu me rendre presque indulgent si son discours décousu n’avait bientôt viré à la xénophobie pure et dure. Rama Yade elle-même s’en est émue dans une lettre assez imagée dont la copie m’est parvenue et que je rendrai peut-être publique un jour.
Bref, en se servant des associations de l’Outre-mer comme d’un marchepied, Karam est parvenu à obtenir une petite boutique dans les communs de l’hôtel du secrétaire d’État à l’Outre-Mer. La place n’est pas mauvaise. Les plus modérés soutiennent qu’il perçoit 8000 euros chaque mois. Certains parlent de 12 000. Plus les frais. Cependant, la définition des activités du «délégué interministériel à l’égalité des chances des Français originaires d’outre-mer» est des plus vagues. Karam m’ayant confié un jour que Sarkozy allait lui donner du travail mais qu’il était incapable de définir son poste, je lui avais, pour rire, rédigé sur un coin de table une lettre en lui recommandant bien d’exiger que sa mission soit «interministérielle», ce qui lui permettrait d’avoir la paix. J’ai l’impression que ce que je prenais pour un canular a vraiment marché. L’improbable s’est produit : Karam a obtenu une sinécure sur mesure. Sans diplôme approprié, sans qualification, sans manières, le voilà mamamouchi. Au bluff. Un directeur de cabinet, un chef de cabinet. Un vrai ministricule.
Notre délégué interministériel parade donc à présent aux frais du contribuable dans une 607 gris métal conduite par un chauffeur. Pour lui, cette voiture, dont il a sans doute longtemps rêvé, est le symbole du pouvoir qu’il pense détenir sur ses compatriotes. Lors d’une manifestation récemment organisée par RFO à l’université de Saint-Denis, il même a exigé que l’automobile entre sur le campus et soit garée à la porte du bâtiment où se tenait la réunion, pour que tout le monde puisse admirer celui qui se prend, dans son carrosse, pour le gouverneur du Cinquième DOM.
S’il en avait eu les compétences et la volonté, Karam aurait pu donner un peu de sens à sa fonction. Les Ultramarins ont vraiment besoin d’être aidés. Le Bumidom les a relégués dans des banlieues et dans les bas emplois de la fonction publique. Le fameux « génocide par substitution » dont parlait Césaire. Au lieu de cela que fait-il ? Il intrigue, il fulmine, il essaie de terroriser, il monte des coups. Personne ne dit rien, car les Ultramarins de métropole sont vulnérables. Karam leur fait peur, menaçant (toujours par personne interposée) d’utiliser ses « réseaux » pour bloquer une subvention, une mutation. Et surtout, il attend. Il espère. Quoi donc ? La place du secrétaire d’État. Yves Jégo, à peine nommé, partit en Nouvelle-Calédonie. Celui qui voulait être calife se précipita aussitôt à l’Élysée pour se faire photographier et déclarer que le Président lui avait « renouvelé sa confiance » et entendait lui donner un « rôle ». La passion de Karam pour Nicolas Sarkozy est assez bizarre. Il n’est pas certain qu’elle soit réciproque.
En réalité, le seul qui apprécie ce curieux personnage soudain infiltré dans l’appareil d’État est le président du CM98 (Comité de marche du 23 mai 1998), une petite association dont Karam, en privé, ne se prive pas de dire qu’elle ressemble beaucoup à une secte et son président à un gourou illuminé. Pour des raisons obscures, le président de ce CM98 s’est mis en tête d’obtenir que le 23 mai soit un jour de mémoire. Nicolas Sarkozy, pensant faire plaisir à un outre-mer qui a massivement voté contre lui, a cédé. Cela ne lui coûtait rien.
Que peuvent penser les Français ? Une loi a été votée en 2001. En 2006 une journée de mémoire a été décidée par le président de la République. En 2008 une deuxième journée de mémoire, treize jours après la première. C’est à se demander si cette multiplication des dates n’est pas une manière de ridiculiser les descendants d’esclaves.
Pour se donner une raison d’être, Karam fait aussi dans la Culture. Un rôle de composition, on s’en doute. Le voilà qui se pique de rendre hommage à Césaire en organisant une « veillée » le 19 avril devant la Sorbonne en présence du ministre de l’Agriculture (un clin d’œil sans doute aux planteurs de bananes de la Martinique). Mais c’est surtout la cérémonie du 10 mai 2008 dans le jardin du Luxembourg qui restera dans les annales. Pas à cause du discours du président de la République qui n’avait rien de surprenant puisqu’il se déclarait décidé à appliquer la loi Taubira, mais du fait que Karam avait réussi à se substituer au comité présidé par Françoise Vergès, laquelle, écoeurée, assistait à tout cela en «ethnologue». Karam représentant les descendants d’esclaves, c’était assez curieux. Les très rares mélomanes de l’assistance ont certainement apprécié la véritable exécution capitale infligée à l’œuvre du chevalier de Saint-George par les Archets de Paris dont une sono de pacotille crachait les fausses notes émises pas des crin-crin désaccordés. Les historiens se sont peut être alarmés de l’omniprésence ce jour-là d’un spécialiste qui attribue au musicien-escrimeur un père de fantaisie et le fait naître six ans avant sa venue au monde. Tout cela n’aurait guère d’importance si la cérémonie ne s’expliquait par la haine que Karam me voue. Parce qu’après avoir travaillé pendant trente ans sur Saint-George, j’ai publié en 2004 une biographie qui aujourd’hui fait référence, parce que j’ai écrit un spectacle mis en scène à Versailles par Bartabas qui a rendu Saint-George populaire en attirant 50 000 spectateurs en 6 représentations. Parce qu’en 2007, j’ai été l’invité officiel des cérémonies de l’abolition de la traite à Westminster en présence de la Reine d'Angleterre. Tout ça pour ça ! Au-delà de la tectonique du ressentiment, Karam a surtout démontré ce jour là de manière éclatante, à travers ce seul exemple, qu’il n’était pas là pour défendre les Ultramarins de métropole contre l’inégalité et l’injustice mais bien au contraire pour créer inégalité et injustice au gré de ses lubies. Sachant qu’un de ses compatriotes guadeloupéens, descendant d’esclaves, était incontournable sur Saint-George, ce jour-là, il a délibérément tenté de mettre en valeur (si l’on peut dire) un métropolitain. Et il a choisi le plus incompétent, ne comprenant pas que c’était à Saint-George qu’il faisait injure et, à travers lui, à tous ces Afro-descendants qu’il méprise profondément. Je n’irai pas jusqu’à dire pour résumer que Patrick Karam est viscéralement raciste, mais je confesse qu’il m’arrive souvent de me poser la question. Il n’est pas sans importance de savoir que c’est à la suite de cette publication sur Saint-George que j’ai connu Patrick Karam et créé au sein du Collectif Dom, une commission Culture avant d’assumer, fin 2006, la présidence de cette association. C’était en décembre 2004 lors d’une manifestation qu’il avait organisée entre la République et la Bastille et qui réunit un millier de participants. Je compris beaucoup plus tard que c’était grâce à la participation de syndicats qu’il avait réussi à manipuler. Karam était la cible de nombreuses attaques au motif qu’étant d’origine libanaise, il n’était pas le Guadeloupéen le plus représentatif qu’on pût trouver et que tout cela sentait le roussi. Naturellement, je pris sa défense au nom de l’antiracisme. J’avais de nombreuses activités parallèles à la rédaction de mes ouvrages et je m’exprimais régulièrement sur mon blog. Le soutien apporté à mes combats et la reprise de la plupart de mes textes fut la principale activité du Collectif DOM en 2005-2006 : réhabilitation du général Dumas, dénonciation des propos insultants tenus contre les descendants d’esclaves par Pétré-Grenouilleau, Sevran, Frêche ou Finkielkraut, lutte pour l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, contre les projets de statistiques « ethniques ». Lorsque parut Le Crime de Napoléon et que cela fit quelque bruit, le Collectif Dom organisa aussitôt une manifestation devant les Invalides qui réunit plus de journalistes que de participants. Karam tentait de se servir de moi pour se donner de l’importance. C’était plutôt flatteur. Il se disait de gauche. Mais grâce à son association, il réussit à approcher des conseillers de Nicolas Sarkozy. Des revers de fortune l’obligeaient à trouver un emploi. Fasciné par le pouvoir, il espérait être nommé préfet à l’égalité des chances. Mais Chirac s’y serait opposé. C’est dans ce contexte que Patrick Karam annonça - contre mon avis - le retrait de la plainte déposée par le Collectif DOM contre l’historien Pétré-Grenouilleau. Ce revirement fut négocié. Contre quoi et avec qui, cela reste un mystère.
Lorsque Karam proposa ouvertement de se mettre au service du ministre-candidat, il lui fallut bien annoncer son départ de l’association dont j’assumai peu après la présidence. Bien d’entendu, je demandai d’emblée à prendre connaissance des statuts, du règlement intérieur, de la liste des membres et de la situation financière. Si j’obtins bien, non sans difficulté, les statuts qu’il fallut modifier tant ils étaient étranges, je ne pus jamais avoir la moindre information sur l’état des finances ni la liste des membres. Et pour cause. Le Collectif DOM, qui annonçait «plus de 40 000 membres et sympathisants», n’avait en réalité que 10 adhérents qui se confondaient d’ailleurs avec son bureau. Quant aux finances, elles restèrent toujours opaques, le chéquier de l’association étant détenu par un fidèle, Daniel Dalin, qui en usait à sa guise et sans contrôle possible de ma part. N’engageant aucune dépense et n’encaissant aucune recette, je pris rapidement mes distances avec une organisation qui de fait était incontrôlable puisque manipulée de l’extérieur. Une indépendante, Béatrice Dhib, dévouée à Patrick Karam, en assurait la «communication». Je cherchai vainement de savoir si elle était rémunérée et par qui. L’intéressée m’assura qu’elle était «free-lance» et qu’elle établirait des factures. La trésorière ne voulut jamais me les montrer. Il fut vite évident que Patrick Karam entendait continuer à présider le Collectif DOM à sa manière et par personnes interposées. J’en eus bientôt la preuve. Au début de l’année 2006, il me donna rendez-vous dans l’espoir de me remettre une enveloppe contenant des documents selon lui « explosifs » contre la présidente de la chambre de Commerce de Guadeloupe, Colette Koury, à laquelle il voue une haine apparemment obsessionnelle et qu’il accuse de toutes sortes de délits. Karam souhaitait que j’entame, au nom du Collectif Dom, une campagne de dénigrement contre cette Guadeloupéenne que je ne connaissais pas, au seul motif qu’elle aurait réclamé à M. Karam père que je ne connaissais pas non plus des arriérés de loyers. M. Karam père tenait un magasin dans le hall de l’aérogare de Pointe-à-Pitre (qui dépend de la Chambre de Commerce) et sa situation était alors des plus délicates. Bien entendu, je m’abstins de me mêler de cette histoire louche. Curieusement, au cours de ce rendez-vous, Karam se leva précipitamment pour aller saluer avec empressement François Léotard qui passait par là. Karam se vanta d’avoir accompli des «missions» en Orient lorsque ledit Léotard était ministre de la Défense. À la vérité, il se vantait de toutes sortes de choses et il avait une façon inimitable de courir pour serrer la main des gens plus célèbres que lui, lesquels étaient fort nombreux. En juin 2007, après l’élection de Nicolas Sarkozy, le loustic entama une campagne pour tenter d’empêcher Claudy Siar d’obtenir une fréquence de radiodiffusion dans la région parisienne. Claudy était, selon lui, l’agent de l’Afrique, de Bongo, du Cran, de Rama Yade et de Basile Boli. Une conspiration des Africains pour remettre les Antillais en esclavage. Un mail accréditant cette thèse loufoque me parvint un beau matin. Il émanait du Collectif DOM. Je n’en avais eu aucune connaissance préalable (alors que je présidais l’association). Signé de Daniel Dalin, secrétaire général de l’association, en télépathie directe avec Karam, il était empreint d’une telle haine et d’une telle xénophobie qu’il tombait sous le coup de la loi. Dalin étant analphabète, je me doutais bien qu’il avait été entièrement rédigé par son mentor (ce dont j’eus plus tard la confirmation). Je fis savoir dans l’heure mon intention de présenter ma démission à la prochaine réunion de bureau. À partir de là, je n’eus plus aucun contact avec Karam, mis à part un SMS sibyllin qu’il m’adressa en décembre 2007 alors qu’il était en conflit ouvert avec Christian Estrosi, secrétaire d’État à l’Outre-Mer, sans doute dans l’espoir d’obtenir mon soutien. Entre temps Karam avait été nommé Délégué interministériel et il avait recruté Béatrice Dhib. En quelques mois, ses relations avec l’actuel maire de Nice étaient devenues si tendues que la presse s’en fit l’écho et qu’on arriva à une situation détestable et choquante. Le plus incroyable, c’est que les manœuvres qu’il utilisa alors, dignes d’un roman, furent assez efficaces pour qu’il reste en poste.
Ayant appris au début de l’année 2008 que j’étais toujours officiellement président du Collectif DOM, je fus obligé de convoquer dans les formes les 10 membres de l’association et de demander quitus de sa gestion à une trésorière dont je n’eus jamais aucune nouvelle. C’est finalement Charles Dagnet qui prit officiellement la présidence le 4 février 2008, dans des conditions régulières attestées par un constat d’huissier, ce qui l’amena a faire bloquer les comptes et à lancer une instance judiciaire aux fins d’obtenir des informations sur la gestion de cette bien curieuse association. Pendant ce temps, deux « hommes de paille » de Patrick Karam - Daniel Dalin et Régine Privat – chantaient les louanges du délégué interministériel au nom du Collectif Dom.
On aurait pu espérer qu’en dépit de ce contexte plus que suspect, Karam ferait néanmoins avancer le dossier des Ultramarins de métropole. En réalité, depuis un an, il a fait tout le contraire. Sa principale activité fut de tenter de se construire un réseau et de régler ses comptes avec les compatriotes qui lui déplaisent, c'est-à-dire à peu près tout le monde. Il n’est pas un jour où je ne reçoive une plainte de quelqu’un qui estime avoir reçu des menaces. Il y a de cela quelques semaines, il m’a même adressé un message d’insultes (via son attachée de presse Béatrice Dhib) où il m’accuse de «puer». Drôle de langage pour quelqu’un qui exerce une mission de service public sous la tutelle du Premier ministre.
Le bilan est particulièrement accablant. Après un an de gesticulations, on s’aperçoit non seulement que Karam n’a rien fait pour faire baisser les billets d’avion entre la métropole et Paris, ce qui résume à peu près sa mission, mais qu’il a osé présenter un plan pour sacrifier les congés bonifiés auquel les Utramarins sont particulièrement attachés. Sa tentative de s’approprier la mémoire de l’esclavage est pitoyable. Dans de telles conditions, le mieux serait qu’il disparaisse au plus tôt. Le 23 mai est une bonne date. Si tel n’était pas le cas, les soutiens qu’il prétend avoir auprès des békés pourraient bien conduire à une situation que je n’aimerais pas avoir à gérer. L’histoire a montré qu’il n’est pas prudent de jouer avec l’outre-mer.